La Bella Donna, femme idéalisée et convoitée, est louée dans la tradition de l’amour courtois. Elle est aussi la fleur sublime, vénéneuse et mortelle. Fruit engageant, à la saveur douceâtre mais au violent poison, la belladone est bien connue des sorcières pour la préparation de leurs onguents aux propriétés hallucinogènes. Quelle métaphore plus appropriée pour illustrer l’ambiguïté de la figure féminine dans l’imaginaire médiéval ?
Sillonnant l‘Europe du XIIème au début du XVème siècle dans sa diversité linguistique et culturelle, ce programme transversal révèle une mosaïque de figures féminines fascinantes, transmises par la mythologie antique. Contrairement à l’adage, le Moyen Âge reste particulièrement empreint de culture antique, source d’inspiration inépuisable pour les poètes. Ainsi, les chansons profanes interprétées ici relaient des portraits psychologiques complexes, telle Hélène, à l’origine de la Guerre de Troie, ou Briséis, qui aima Achille, bien que meurtrier de son père et de ses frères. Les pouvoirs enchanteurs sont fréquemment associés aux figures féminines, qu’il s’agisse de la sorcière Médée ou de la Sirène, créature qui par la beauté légendaire de ses chants fait périr les hommes. Quant à la Fortune, elle baille indifféremment chance et malchance en tournant sa fameuse roue. Par leurs actes ou leurs crimes, ces femmes renversent l’ordre du monde.
En regard de ces figures mythologiques, le répertoire spirituel nous livre lui aussi des personnages féminins fascinants. Les moyens d’expression convoqués sont similaires, qu’il s’agisse de chanter l’amour de la femme aimée dans la tradition de la lyrique courtoise ou les louanges de la Vierge dans les fameuses Cantigas de Santa María.
Tempérance, Charme, Tourment : en un triptyque musical, ce programme s’ouvre sur l’image d’une femme résignée bien que toujours digne. Pénétrant le cœur d’histoires envoûtantes, une partie centrale découvre des figures antiques ou spirituelles aux personnalités fortes et fascinantes. Ces mythes féminins laissent progressivement apparaître un portrait beaucoup plus sombre, dernier volet du triptyque dans lequel la situation initiale se voit retournée : la femme trahie laisse place à l’amant éconduit, dont elle se joue et peut même conduire à la mort.
Sur le fil de ces figures féminines, la musique découvre des styles d’écritures variés. Partant d’une canso de trobairitz (l’alter ego féminin du troubadour), les œuvres cheminent à travers monodies et polyphonies jusqu’à atteindre les derniers feux du Moyen Âge, à l’orée du XVème siècle. L’Ars subtilior y enveloppe ses œuvres de mystères, la subtilité de l’esthétique répondant elle-même à celle d’une Médée ou d’une Isabella.
Apotropaïk
Clémence Niclas,
voix et flûtes à bec
Marie-Domitille Murez,
harpe gothique
Louise Bouedo,
vièle à archet
Clément Stagnol,
luth médiéval
Où
Chapelle de
l'Hôtel-Dieu
Quand
ven. 1er juillet
La Bella Donna > Femme sublime, fleur mortelle
Tempérance
A chantar m’er de so qu’eu no volria [canso]|Comtessa de Dia > fin XIIème - déb. XIIIème S.
Can l’erba fresch’ [instrumental]|Bernart de Ventadorn > ca.1130 - ca.1190
Santa Maria leva|Cantiga de Santa María, n° 320 |Anonyme
Honte, paour, doubtance de meffaire [ballade]|Guillaume de Machaut > ca.1300 - 1377
Pièce sans titre, f. 49 v. [instrumental], Codex Faenza (déb. XVème S.) Faenza > Biblioteca Comunale, MS 117|Anonyme
La belle se siet au piet de la tour|Guillaume Dufay > 1397 - 1474
Charme
Santa Maria amar|Cantiga de Santa María, n° 7|Anonyme
Ave Maris Stella|Codex Faenza|Anonyme
Medée fu en amer veritable [ballade]| Codex Chantilly (fin. XIVéme/déb. XVéme S.), Chantilly – Musée Condé, MS 564|Anonyme
Tourment
Phyton, le merveilleus serpent [ballade]|Guillaume de Machaut
O Crudel Donna [madrigal]|Codex Rossi (c. 1370), Roma – Biblioteca Apostolica Vaticana, MS Rossi 215|Anonyme
Ha, Fortune, trop as vers moy grant tort [ballade]|Codex Chantilly|Anonyme
Isabella [estampie – instrumental]| London – British Library, Add. 29987 (ca.1400)|Anonyme